Comores: Nouvelle centrale électrique/ La lumière ne doit pas faire de l’ombre à la démocratie

Par Eddine Mlipvoindro

Le président Azali Assoumani lance le nouveau centrale de Voidjou( Gde-Comore)-Source: page facebook de Beit-Salam
Le président Azali Assoumani lance le nouveau centrale de Voidjou( Gde-Comore)-Source: page facebook de Beit-Salam

Tout le pays se félicite de la promesse d’un retour à la normale dans le secteur de l’énergie. Mais il revient de si loin, qu’il perd un peu la tête. Mais applaudir sans réfléchir, refuser que l’on pose les questions restées dans l’ombre est aussi une autre manière de maintenir le peuple dans les ténèbres.

Une fois n’est pas coutume, la semaine débute sur deux bonnes nouvelles. La première est que la LUMIÈRE EST. Avec une nouvelle centrale de « 18 mégawatts », la Mamwe a non seulement retrouvé sa capacité maximale de production (14 mégawatts), mais dispose d’une réserve de 4 mégawatts supplémentaires sans compter les anciens groupes qui vont pouvoir pallier à d’éventuelles pannes. En attendant l’allumage des groupes d’Anjouan et de Mohéli, rien ne devrait plus dorénavant justifier que l’île de Ngazidja ne soit pas éclairée « 24h/24 » et 7 jours/7.  A croire les mots du chef de l’Etat ce dimanche, la Grande-Comore pour commencer, devrait rompre définitivement avec les coupures d’électricité et le régime de délestages qui a pendant deux décennies (1996-2016), privé une génération entière d’électricité, mis à terre le tissu économique et appauvri définitivement des milliers de ménages dont la seule source de revenu dépendait d’activité qui avaient besoin d’énergie.

La problématique de l’énergie dans notre pays dépasse la seule dimension des machines

Il est donc légitime qu’après ces longues années de ténèbres, le pays jubile. Mais au risque de décevoir ceux qui estiment qu’une telle réalisation n’autorise aucune réticence, aucune fausse note, il faut baliser rapidement les limites de cet enthousiasme. Parce que ce n’est pas la première fois que l’Etat a volé au secours de cette société, une véritable réflexion publique doit accompagner cette nouvelle séquence. La problématique de l’énergie dans notre pays dépasse la seule dimension des machines. Elle interroge les choix stratégiques de l’entreprise qui en a la charge, ses missions, son organisation, son mode de fonctionnement, son  statut et bien sûr les choix politiques alternatifs. Un travail d’expertise donc.

Les groupes électrogènes de la nouvelle centrale de Voidjou. Source: Beit-Salam
Les groupes électrogènes de la nouvelle centrale de Voidjou. Source: Beit-Salam

La deuxième bonne nouvelle, et c’est à mon sens la plus importante, cet événement a placé le chef de l’Etat dans de bonnes dispositions. Il exhorte les citoyens à s’impliquer dans la vie publique et à ne pas se «  priver, s’il y a lieu, des critiques vis-à-vis du Gouvernement » et de ne « taire ses erreurs » à condition, a-t-il précisé que « ces critiques soient fondées et constructives ».
Dont acte. Des internautes qui suivent de près les actions du gouvernement, ont relevé que Azali Assoumani a fait amende honorable en  reconnaissant avoir dérogé exceptionnellement à l’orthodoxie sur la passation des marchés publics concernant l’achat de la nouvelle centrale électrique d’un coût de 7 milliards fc). Une entorse qu’il justifie par « l’urgence » du projet, mais qu’il assure ne plus jamais rééditer.

Soit ! Mais comment garantir que d’autres « urgences » ne justifieront pas une nouvelle entorse à la légalité ? Doit-on se contenter de la parole publique d’un président ou d’un ministre ? Quelles sont les dispositions prévues par la loi pour autoriser le gouvernement à engager l’argent public hors des voies légales ? Un discours à la population n’est pas un gage de bonne gouvernance. C’est devant les députés qui votent le budget, contrôlent son exécution et qui ont compétence d’interpeller le gouvernement sur son action que le chef de l’Etat, à défaut de chef de gouvernement, devrait aller expliquer le sens de sa décision d’engager 7 milliards d’investissement en dehors des voies légales. Cela aurait été d’autant plus nécessaire que le président de l’Union assure qu’il ne s’agit ni d’un don ou d’une aide, mais d’une dépense effectuée sur les deniers publics.

Comment qualifier la dotation de  7 milliards d’équipements à la Mamwé, une entreprise publique à caractère industrielle et commerciale ?

Au-delà de cet impératif de respecter le fonctionnement de l’Etat, les textes qui régissent l’action des pouvoirs publics, la transparence dans la passation des marchés publics et l’utilisation des fonds publics, se pose une interrogation. Comment qualifier la dotation de  7 milliards d’équipements à la Mamwé, une entreprise publique à caractère industrielle et commerciale ? S’agit d’une subvention ou d’un prêt ? L’on est en droit de se demander qu’est ce que c’est que cette gestion où l’Etat peut affecter de l’argent ou investir dans l’achat d’équipements destinée à une entreprise fut-elle publique, sans expliquer sur quel fondement s’appuie la décision et sans la soumettre à aucune contrepartie ? Financière (remboursement), ou politique. La réponse du président Azali d’une promesse électorale de fournir de l’électricité aux Comoriens, ne peut exonérer le candidat devenu président, à se conformer aux procédures légales. L’on peut comprendre que pour sauver une société publique en difficulté, l’Etat lui accorde des facilités de trésorerie. Mais il serait tout aussi logique qu’en contrepartie de ce coup de pouce et à part égale de l’économie ainsi réalisée, l’entreprise soutienne des mesures sociales ou économiques.  Pourquoi, alors qu’on dit que le pays détient le record le plus élevé du prix du KWh, la Mamwe ne pourrait-elle pas alléger la facture des entreprises et soutenir ainsi la reprise d’une économie sinistrée par cette longue crise de l’énergie? Ou encore soutenir les ménages pour compenser les pertes et les investissements consentis pour palier à 20 années durant lesquelles l’entreprise n’a pas rempli sa mission de service public, celle d’offrir à la population de l’électricité régulière et continue?

Comme l’a souligné Bara Youssouf sur les réseaux sociaux, la rhétorique des différents pouvoirs réussit « à utiliser notre désespoir, notre naïveté pour nous faire passer chaque effort fourni pour une prouesse » et à dissimuler par cette ruse, le pilonnage des procédures légales. Ce qui conduit à confisquer purement et simplement l’Etat au profit d’intérêts particuliers et égoïstes. Même si elles étaient mues par une « bonne volonté », ces pratiques ont insidieusement installé un régime autocratique sous le vernis d’une démocratie qui certes, a remplacé les armes par les urnes, mais qui est loin de faire de l’intransigeant respect des lois et les règles, sa principale vertu.  C’est dans cette même opacité que les Comoriens découvrent « Eneria ». Qu’est-ce qui se cache derrière cet acronyme qui à la place et pour le compte de la Mamwe, détiendra pendant deux ans, la gestion de ces nouveaux équipements ? Comment grandir lorsqu’on ne cesse de nous infantiliser ?

 

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